Veillée d’arme
Dans le bon vieux cinéma de papa,
rayon film de guerre, avant le début du combat, il y a toujours une scène touchante. Genre le jeune gars boutonneux qui tend au dur à cuire de héros la photo de sa p’tite amie, en lui disant un truc comme « on va se marier au printemps prochain » ou « quand je reviendrai, j’aurai un fils » ou toute autre niaiserie du même acabit.
Et bien vous pouvez être à peut près sûr qu’au plan suivant, il va se pendre une bastos et expirer dans l’étreinte virile du dur à cuir. Lequel, immanquablement lui sort la même tirade, de film en en film : « t’en fait pas, Joe, tu vas t’en tirer... » Mais Joe ne s’en tire jamais, puisqu’il s’est fait tirer dessus.
Tout le problème, c’est de bien choisir son rôle.
Il vaut mieux jouer le dur à cuire plutôt que le jeune gars boutonneux. Mais l’ennui, dans la vie réelle, c’est que l’on ne connait pas le responsable du casting, non plus qu’on ait la moindre idée du scénario. Pour la mise en scène, on doit, le plus souvent se débrouiller tout seul.
Avec ou sans sel, en selle, camarade.
Me voici donc rendu à la veille des hostilités. Si le synopsis m’est vaguement connu, dans ses grandes lignes, les premiers rôles sont pour d’autres. À moi la figuration. Même pas : je ferai partie du décor, théâtre d’une opération où la seule tâche qui me sera assignée c’est de rester là, dans l’immobile inconscience d’une sédation contrôlée. Objet de soins mais objet, non pas sujet.
Il me reste comme à Cyrano, à la fin du dernier acte, le dérisoire panache du verbe.
En attendant la fin de l’acte
Ainsi, face au péril, je veille sans trembler,
J’entend grincer au loin le charroi de la mort,
Que mène un phaéton pareil aux noirs fantômes.
À la bouche je n’ai ni prières ni psaumes,
Impassible en l’imposte où je guette le sort,
Sentinelle je suis, seule sur mon remblai.
Là, de marbre et d’albâtre et de roc, rassemblé,
Je défie le néant sans l’ombre d’un remord
Mon feutre et mon épée dans le creux mes paumes.
Lionel, 28 juin 2014